Badwill, juste valeur et théorie des vases communicants, la comptabilité magique selon IFRS 3

Vous n’êtes pas expert(e) dans la théorie des fluides ni dans l’application de IFRS 3 lors des acquisitions par étapes ? Alors lisez cet article et l’épisode 4 de notre série le « Grand pôle financier public » . Vous découvrirez dans le compte de résultat du Groupe La Poste en 2020, comment le badwill de 4,6 milliards d’euros sur CNP Assurances incorpore en réalité 1,6 milliards d’euros provenant de la dépréciation des titres déjà détenus avant l’opération de regroupement. C’est difficile à suivre, il va falloir se concentrer.

Rappelons les faits :

  • Au 4/03/2020, un échange de titres de CNP Assurances permet de constituer le « Grand pôle financier public » (lire l’épisode 1)
  • Le Groupe La poste détenait antérieurement une quote-part de 20,15 % dans CNP Assurances ; elle en acquiert le contrôle, avec un cumul de droits de vote de 62,13% après l’opération d’échanges,

Série Grand Pôle Financier Public 2020, ou le traitement IFRS d’une acquisition par étapes (à surprise)

  • Le Groupe La Poste via La Banque Postale, intègre globalement CNP Assurances et enregistre un badwill de 4,6 milliards d’euros en profit (lire l’épisode 2),

Entrée de CNP Assurances dans La Poste en 2020 : un badwill à 4,6 milliards d’euros enregistré directement en profit

  • Le badwill est visiblement justifié par une décote boursière des valeurs de l’assurance (lire l’épisode 3)

Derrière le badwill, se cache-t-il toujours un gagnant … et un perdant?

L’opération s’analyse comme une entrée de périmètre « par étapes » dans le Groupe La Poste, avec passage de la mise en équivalence à l’intégration globale de CNP Assurances et dégagement d’un badwill « partiel ».

Traitement de cette acquisition par étapes selon les normes IFRS 10 et IFRS 3

Le traitement des normes IFRS pour ce type de regroupement d’entreprises est très conceptuel. Il s’appuie sur la notion de groupe “entité économique”. Dans le passage de mise en équivalence à intégration globale, le groupe La Poste « entité économique » doit refléter trois opérations distinctes dans ses comptes :

  • Il se sépare d’un poste d’actifs au bilan qu’il détenait avant l’opération (titres mis en équivalence 20,15%)
  • Il rémunère le vendeur pour l’acquisition du contrôle (augmentation de capital)
  • Il reçoit en contrepartie un ensemble d’actifs et de passifs désormais contrôlés (intégration globale à 62,13%).

La déconsolidation des actifs sortant du groupe entité économique passe par résultat. Dans notre cas, la déconsolidation du poste Titres mis en équivalence CNP Assurances entraîne une moins-value de (1,6) milliards d’euros.

En d’autres termes, la réévaluation en juste valeur des titres mis en équivalence au jour de l’acquisition du contrôle entraîne une perte qu’il est obligatoire de constater en résultat, alors même qu’on détient toujours les titres. Il n’y pas maintien du principe de coût historique.

En contrepartie, l’entrée de périmètre en Intégration globale de CNP Assurances, pour la quote-part de titres de 62,13%, entraîne un badwill partiel de 4,6 milliard d’euros.

C’est là qu’intervient la théorie des vases communicants :

  • l’écart d’acquisition est la différence entre la juste valeur de l’actif net acquis d’une part, et la juste valeur des titres incluant la quote-part antérieurement détenue,
  • arithmétiquement, une dépréciation des titres antérieurement détenus augmente donc le badwill.

Dans notre cas, le badwill de 4,6 milliards d’euros a donc été majoré de la dépréciation de (1,6) milliards d’euros, par rapport à un traitement où l’on aurait maintenu les titres CNP Assurances (20,15%) en valeur historique.

CNP Assurances, une entrée de périmètre à +3 milliards d’euros en résultat

Au final, dans le Groupe La Poste, l’incidence totale de l’entrée de périmètre de CNP Assurances est donc un produit net de 3 milliards d’euros se décomposant en :

  • Badwill en profit de 4,6 milliards d’euros,
  • Dépréciation de la quote-part de 20,15% des titres de CNP Assurances antérieurement détenus par La Banque Postale et mis en équivalence : perte de (1,6) milliards d’euros.

Par jeu de vase communicant, la baisse de la valeur des titres augmente le badwill, et au final le résultat du groupe d’autant. C’est un jeu à somme nulle. Il est donc logique de présenter l’incidence nette de l’entrée de périmètre de CNP Assurances, dans une ligne distincte du compte de résultat du Groupe La Poste.

Dans le Rapport financier du Groupe La Poste (DEU 2020), la Note 1.1 p.283 explique dans le détail les incidences de l’entrée de périmètre. C’est clair et transparent !

Magie comptable IFRS dans le cadre d’un goodwill

Dans un cas différent de celui pris en exemple ici, et en réalité beaucoup plus fréquent, la réévaluation des titres antérieurement détenus dans une acquisition « par étapes » produit un résultat étonnant, voire « magique » .

Le cas, le plus fréquent en pratique, est le suivant :

  • Les titres antérieurement acquis portent une plus-value latente ; celle-ci est obligatoirement enregistrée directement en résultat au jour du regroupement,
  • La juste valeur des titres prise en compte pour le calcul du goodwill est augmentée d’autant ; la valeur du goodwill est augmentée mécaniquement,
  • Mais à la différence d’un badwill qui doit être constaté directement en résultat, le goodwill reste à l’actif du bilan…

La théorie des vases communicants s’applique bien toujours au calcul du goodwill, mais le traitement comptable est ici dissymétrique. La réévaluation des titres antérieurement détenus passe en profit, le goodwill reste au bilan … dit vulgairement, c’est « tout bénéfice » pour le groupe !

Prise en compte en résultat d’une réévaluation de titres conservés, par contrepartie de l’augmentation du goodwill. La partie double fait des miracles. C’est la magie des acquisitions par étapes selon IFRS 3 dans le cas d’un goodwill.

A venir

(1) Prochain épisode : le traitement du recyclage des éléments du résultat global des Titres mis en équivalence CNP Assurances, au jour du regroupement . Un montant de 0,6 milliards d’euros en profit … la constitution du  “grand pôle financier public 2020” n’en finit pas de nous étonner.

A lire les précédents épisodes

Episode 1 : Série Grand Pôle Financier Public 2020, ou le traitement IFRS d’une acquisition par étapes (à surprise)

Episode 2 : Entrée de CNP Assurances dans La Poste en 2020 : un badwill à 4,6 milliards d’euros enregistré directement en profit

Episode 3 : Derrière le badwill, se cache-t-il toujours un gagnant … et un perdant?

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