Stellantis Episode IV. Expérience personnelle : interrogeant mon concessionnaire habituel d’une grande marque pour acheter un scooter plus écologique, celui-ci me répond « nous n’avons pas de version électrique à ce stade, et il est difficile de vous dire quand l’offre sera disponible… ». Sachant que des marques jusqu’ici inconnues proposent une offre électrique, je risque d’aller voir la concurrence, sans toutefois me décider.
Cette expérience client me ramène au sujet de notre acquisition inversée chez Stellantis (!), et indirectement à la valeur des marques de l’ex-groupe Fiat Chrysler qui en résulte (12,8 milliards d’euros). Sont-elles solides dans un marché en pleine transformation ?
Nous expliquons ici comment les normes comptables obligent à apprécier les risques liés aux marques et au goodwill. Et comment il devient obligatoire de faire le lien avec les données publiées dans les rapports de développement durable, ici le rapport CSR 2021 de Stellantis.
Test de dépréciation systématique
La norme IAS 36 « Dépréciation d’actifs » requiert un test de dépréciation (« impairment test ») annuel systématique pour tous les actifs incorporels non amortissables qui figurent au bilan, actifs dits « à durée de vie non définie ».
A l’issue du test, des dépréciations sont comptabilisées si la valeur recouvrable est inférieure à la valeur comptable.
Chez Stellantis le test est effectué au 31 décembre de chaque année (cf rapport financier 20F p.246) et concerne les goodwills et les marques auxquels nous nous intéressons ici, issus de l’acquisition inversée de PSA sur FCA.
Test combiné des marques et des goodwills au sein des UGT
Les goodwills et les marques sont répartis dans leurs unités génératrices de trésorerie (UGT’s selon IFRS 3) et testés selon la méthode des cash-flows actualisés de l’UGT. Le rapport financier 20 F de Stellantis précise quelles UGT sont concernées :
« Goodwill from the merger of FCA is allocated to the North America, South America, Maserati, India and Asia Pacific and Enlarged Europe operating segments ».
Test unitaire sur les marques
Chaque marque doit en outre faire systématiquement l’objet d’un test annuel individuel de dépréciation, s’agissant d’un actif non amortissable.
Test de dépréciation lorsque survient un indice de perte de valeur
En outre, les marques doivent être testées à tout moment, en cas de survenance de faits qui risqueraient d’en compromettre la valeur, qualifiés par IAS 36 d’indices de pertes de valeur.
Parmi les indices qui pourraient affecter négativement les marques, la norme cite par exemple les changements technologiques dans un marché, la baisse d’un marché.
En matière de transition environnementale, sujet qui nous préoccupe ici , la TCFD (« Task Force on Climate Related Financial Disclosure ») (1) identifie dans son rapport de 2017 les risques climatiques qui peuvent affecter la valeur de l’entreprise (p.10 et 11), avec des thèmes clairement liés aux marques :
- Changement de comportement des consommateurs
- Changement de goûts des consommateurs
- Volatilité du marché
- Incertitudes du marché
- Stigmatisation par les consommateurs…
Ceci ne nous ramène-t-il pas à mon expérience personnelle relatée en introduction ? Les marques dans le secteur automobile sont fortes – ses 14 marques sont “iconiques” selon Stellantis – mais les nouveaux enjeux climatiques pourraient perturber la donne.
Comment évaluer comptablement la valeur recouvrable des marques chaque année ?
Le rapport financier / 20F de Stellantis indique p.272 :
“For the purpose of impairment testing, the carrying value of Brands is tested jointly with the goodwill allocated to the North America, Enlarged Europe and Maserati segments”.
Les marques ne sont donc pas testées individuellement, mais associées au goodwill dans les différents segments (UGT’s) définis par Stellantis. La méthode des royalties n’a donc servi que pour l’évaluation initiale des marques de FCA dans le cadre du purchase accounting.
La méthode des UGT’s repose sur des cash-flows projetés, une valeur terminale et un taux d’actualisation financière. Chacune de ces 3 composantes pourraient être affectées par les facteurs négatifs énumérés ci-dessus, et aboutir à une baisse de valeur du goodwill et des marques.
Baisse des cash-flows futurs : Stellantis indique utiliser le PMT 2022-24 pour mener ses tests de dépréciation. Le problème est que la réussite de la transition électrique dépasse largement cet horizon, puisque Stellantis a défini sa trajectoire avec des jalons 2030 et 2038. Les baisses de valeur sont potentiellement au delà de 2024 (ou 5 ans qui est la limite fixée par la norme IAS 36).
Baisse de la valeur terminale : c’est donc sur la valeur terminale en fin de cash flow que les facteurs négatifs pourraient jouer. Tout le problème est de projeter à l’infini des cash-flows sur une période où la “disruption climatique” perturbera le marché, et d’estimer un taux de croissance à long terme prudent.
Hausse du taux d’actualisation : enfin, le taux d’actualisation est le dernier paramètre qui permet de prendre en compte certains risques évoqués précédemment, par exemple celui de la volatilité accrue des consommateurs dans un marché en pleine transition ( dès lors qu’ils n’ont pas été reflétés dans les cash-flows). L’augmentation du risque et du taux d’actualisation ferait baisser mécaniquement la valeur recouvrable des marques et du goodwill.
La solution pour apprécier la dépréciation éventuelle des marques et du goodwill serait donc de jouer à la fois sur l’évaluation prudente de la valeur terminale et sur un taux d’actualisation plus élevé à appliquer spécifiquement sur cette valeur terminale. Mais notre métier n’est pas celui de l’évaluation, je laisse donc aux experts le soin de me contacter s’ils avaient des éléments intéressants à nous communiquer !
De même les auditeurs seront en première ligne pour valider les approches retenues et tenir compte de la nouvelle donne électrique et climatique pour apprécier la valeur des marques et du goodwill. Leur avis sera déterminant.
Conclusion
Je conclurai, comme j’ai introduit, par une note personnelle. Je me demande si les passionné(e)s de moteurs 8 cylindres en V vont aimer pousser leur Maserati électrique sur l’autoroute … dans le plus grand silence et sans la moindre vibration. A contrario, je m’interroge aussi sur le “story telling” de cette marque qui continuerait à vendre ses moteurs thermiques boulimiques en pétrole…
N’est-ce pas le nouveau défi pour concrétiser la base-line de la marque Maserati nouvellement définie par Stellantis ?
(« Maserati “The Best in Performance Luxury, Electrified” )
NB : fort heureusement pour Stellantis, tout le monde ne possède pas de Maserati…
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SOURCES
(1) TCFD – Rapport final et recommandations de juin 2017
(2) Lire nos précédents billets :
Episode I : Acquisition inversée lors du regroupement PSA/ FCA : le cas d’école Stellantis en 2021
Episode II : Comment l’acquisition inversée Stellantis oblige à comptabiliser les marques de l’ex groupe Fiat Chrysler
Episode III : Les enjeux climatiques s’invitent dans la valeur des marque au bilan de Stellantis
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