Incidences des risques climatiques sur les états financiers, AMF 2022

Dans sa recommandation sur l’arrêté des comptes 2022, l’AMF réitère sa recommandation d’une meilleure connectivité entre les comptes, le rapport de gestion et la partie RSE (DPEF en France) des Documents d’Enregistrement Universels publiés par les entreprises (DEU).

L’AMF recommande de mieux détailler les jugements et hypothèses mis en œuvre pour apprécier les effets des risques liés au changement climatique. Tout en constatant que jusqu’à présent, les émetteurs ont affirmé avoir peu ou pas d’incidence des risques climat sur leur entreprise.

Je cite (p.15/27) : « 81% de notre échantillon indiquent expressément avoir pris en compte l’impact du changement climatique sur leurs activités dans l’établissement de leurs états financiers ; ceci dit presque l’intégralité indique une absence d’impact significatif à ce stade ». 


Le sujet mérite réflexion. Car la question des liens entre performance financière et extra financière est dans tous les esprits, chez les financiers, les investisseurs et la société civile.

Dans la recommandation de l’AMF,  plusieurs thèmes importants sont présents, que nous décomposons.

Définition des « risques liés au changement climatique »

La définition du risque est essentielle. Pour gérer et évaluer un risque, il faut en premier lieu l’identifier… et comme toujours, ce n’est pas si simple.

Le débat devient rapidement conceptuel en matière de risques liés à la RSE. En ce qui concerne les risques climatiques, nous vous conseillons de vous référer aux recommandations sur le sujet émanant de la TCFD « Task Force On Climate Financial Disclosures » .

En premier lieu, le risque est rattaché au concept dit de « matérialité », philosophie autour de la responsabilité sociétale des entreprises, des enjeux et des risques et opportunités associés :

  • Simple matérialité : risques subis par l’entreprise, en général du point de vue de l’investisseur (approche à l’origine anglo-saxonne mais en cours d’évolution avec l’ISSB),
  • Double matérialité : s’ajoutent les risques que fait courir l’entreprise aux personnes et à l’environnement (double point de vue européen) ; dans cette approche, les enjeux RSE créent aussi des opportunités.

Les risques sont fréquemment analysés selon la typologie :

  • Risques physiques : impact des aléas climatiques sur les biens matériels, les infrastructures, les chaînes d’approvisionnement, la sécurité des personnels, les primes d’assurance etc.
  • Risques de transition : impact de la prise en compte des objectifs de réduction des émissions de GES, des politiques zéro-carbone, du coût des réglementations en cours, de la tarification du carbone à travers les impôts ou le marché des droits à émettre etc.
  • Risques immatériels : risques de réputation, risques judiciaires etc.
  • Risques de marché : évolution de la demande des clients, rupture technologique, concurrence …

Selon la taxonomie européenne, s’ajoute une décomposition des risques climat, avec des objectifs d’amélioration :

  • Objectif de « climate mitigation » : mesures pour réduire les émissions de GES,
  • Objectif de « climate adaptation » : mesures pour maîtriser l’incidence négative des aléas climatiques.

Dans son examen des DEU 2021, l’AMF a noté que le changement climatique est considéré, dans les facteurs de risques, comme (en % d’entreprises de son échantillon) :

  • un risque de marché pour 26%,
  • un risque de transition pour 55%,
  • un risque physique pour 67%.

Comment chiffrer et expliquer financièrement les « risques liés au changement climatique »  ?

Une fois ces risques climatiques clairement identifiés, comment les évaluer ? Comment les relier à la finance et à la comptabilité dans le rapport financier annuel ? C’est le sujet clé de la connectivité.

L’AMF fait un constat critique : pour la très grande majorité des DEU revus en 2021, les risques précités sont bien présents et figurent dans les DEU. Mais en ce qui concerne le climat, sujet prioritaire, les impacts financiers des risques liés au changement climatique ne sont pas clairement établis (absence d’impact ou impact limité notamment à justifier).

L’AMF rappelle que c’est au niveau de la « performance financière, la valorisation des actifs et des passifs de la société » que la connectivité doit s’établir. L’incidence financière des risques et opportunités liés aux changements climatiques devraient donc s’analyser à ce niveau, sur la période écoulée, mais aussi sur le futur et notamment sur la valeur de l’entreprise au sens large.

Les référentiels extra-financiers internationaux historiques tels que le GRI font appel à une notion plus large de « Enterprise Value ». Le sujet devient celui de l’impact négatif des risques climatiques sur la création de valeur actionnariale. Mais aussi des incidences positives sur le modèle d’affaires en raison des opportunités stratégiques de la transition énergétique par exemple.

Les discussions en cours entre régulateurs élargissent encore la notion et la précisent. On lit ainsi dans le rapprochement qu’a effectué l’EFRAG entre ses premières normes de durabilité (ESRS) et celles de l’ISSB (novembre 2022 – Draft ESRS1 et Appendix 4 IFRS Sustainability Standards and European ESRS Reconciliation table) :

  • The term “enterprise value” is not anymore mentioned (ndlr : by the ISSB),
  • The new language (ndrl : from ESRS1) “The effects of sustainability matters on the undertaking’s cash flows, development, performance, position, cost of capital or access to finance “ is meant to capture a broader scope than the enterprise value, and to include all the investor relevant components.

D’un point de vue investisseur, l’évaluation des impacts financiers des risques liés au changement climatique devrait donc porter prioritairement sur :

  • les cash-flows,
  • les investissements et les coûts de développement,
  • les charges (ou nouveaux profits) en résultat,
  • l’accès plus réduit (ou à contrario plus facile) aux financements,
  • le coût du capital induit,
  • et pour les sociétés cotées, in fine, leur cours boursier.

Connectivité « pratique », comment faire ?

Concrètement, les évaluations des incidences sur le compte de résultat, les investissements, le coût du capital etc. ne posent pas de problème de technique financière. Ce sont des sujets classiquement appréhendés par la finance, le contrôle de gestion et la comptabilité.

Mais c’est plus compliqué en ce qui concerne le chiffrage des risques liés au changement climatique sur les « valeurs », par exemple :

  • valeurs des actifs ou des passifs comptabilisés au bilan,
  • valeur économique et valeur actionnariale globale de l’entreprise,
  • valeurs de recouvrabilité pour les tests de dépréciation au bilan, par exemple sur les goodwills, les marques, ou ciblées sur les actifs industriels menacés par les risques

Les modèles d’évaluation reposent toujours à un moment donné sur une projection de cash-flows. L’horizon temps et l’évaluation des valeurs terminales en fin de cash-flow y sont déterminantes. Les risques climatiques viennent impacter directement les cash-flows annuels. Pour les valeurs terminales, ils peuvent être intégrés par une prime dans le taux d’actualisation de la valeur terminale.

Mais la principale difficulté ne résiderait-elle pas pour le financier à chiffrer des hypothèses de trajectoires pour le moins “ambitieuses” revendiquées par les dirigeants, à les concrétiser sur un échéancier précis, selon des hypothèses crédibles ? Force est de constater que l’objectif stratégique « zéro-carbone » figure désormais dans les premières pages des DEU, la partie développement durable (DPEF) au milieu, les comptes … un peu loin à la fin.

La recommandation finale de l’AMF

C’est bien cela l’enjeu de la « connectivité » rappelé par l’AMF. Celle-ci recommande donc logiquement :

  • de regrouper l’ensemble des informations sur les risques liés au changement climatique dans une note spécifique,
  • ou d’effectuer un lien explicite entre les différentes notes des états financiers couvrant le sujet,
  • d’indiquer plus clairement sur quels horizons de temps les conclusions concernant l’impact ou l’absence d’impact se fondent,
  • de préciser le ou les scénarios de changements climatiques retenus dans chaque cas.

La campagne des publications financières 2022 venant de commencer, nous verrons rapidement si la recommandation a été suivie d’effet. Bonne lecture !

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