Comprendre la « double matérialité » pour grandes entreprises … elle peut aussi intéresser les PME

La double matérialité est un concept fondamental du reporting de durabilité des grandes entreprises soumises à la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) . L’approche de double matérialité n’est pas obligatoire dans le rapport de durabilité des PME non cotées en norme VSME (Voluntary Sustainability Reporting Standard for non-listed SMEs). Bonne nouvelle pour les PME non soumises à l’obligation de la CSRD, elles pourront identifieront leurs impacts matériels avec plus de souplesse. Sans la pression des auditeurs et des consultants opportunistes !

Concept critiqué

Définie par la norme ESRS 1 (European Sustainability Reporting Standards), la double matérialité n’existe qu’en Europe. Elle est rejetée par les normes internationales de durabilité ISSB (International Sustainability Standards Board) sous l’égide de la fondation IFRS. Et c’est bien le problème, en ces temps où l’on souhaite alléger la pression réglementaire qui s’exerce sur les entreprises européennes.

Concept technocratique, fardeau administratif, ne créant rien sur le fond, mais faisant les choux gras des cabinets d’audit et de conseil, la double matérialité focalise actuellement les critiques, même de la part des politiques qui en chantaient la vertu il y a peu. Certaines de ces critiques sont d’évidence justifiées. Au point que l’Union Européenne elle-même semble prête à reculer sur certains aspects. Tant mieux.

Mais avant de critiquer et de risquer de « jeter le bébé avec l’eau du bain », est-on sûr de savoir précisément de quoi l’on parle ? Notre grande sagesse nous pousse à faire ici un point pédagogique. Sachant que la démarche reste intéressante même pour les PME, afin de limiter le rapport de durabilité aux sujets essentiels.

Rappel des objectifs de la double matérialité

La double matérialité est une méthode permettant d’identifier les sujets d’interaction essentiels entre une entreprise et son environnement. L’interaction est à double sens : incidence qu’a une entreprise sur la planète et les hommes , et vice-versa. L’objectif est d’identifier les thèmes prioritaires et de ne parler dans le rapport de durabilité que de ces thèmes, en écartant tous les autres qui ne sont pas matériels. Ainsi, si l’entreprise n’est pas polluante, on ne va pas évoquer les thèmes de pollution dans le rapport de durabilité CSRD…

L’objectif est également d’impliquer le maximum de participants dans la méthodologie (les « parties prenantes ») pour lui garantir une certaine indépendance.  Les participants à la démarche identifient les thèmes qu’ils considèrent critiques et les priorisent, de leur propre point de vue. On implique donc par exemple les salariés pour analyser ce qui leur semble important en matière de conditions de travail, de qualité de vie au travail, de possibilités de développement personnel, de formation, d’équilibre vie perso/pro etc.

Pédagogie sur le concept de double matérialité

Rentrons dans le détail. La double matérialité repose sur deux dimensions :

  1. La matérialité d’impact (“inside out”) : comment l’entreprise affecte la société et l’environnement.
  2. La matérialité financière (“outside in”) : comment les enjeux de durabilité influencent la performance et la valeur de l’entreprise.

L’entreprise doit analyser ces deux dimensions au regard des thèmes ESG classiques :

  • environnementaux,
  • sociaux,
  • gouvernance.

L’analyse porte sur les activités propres de l’entreprise, mais également – et ceci peut constituer une vraie difficulté dans les grandes organisations- dans sa chaîne de valeur. Cela signifie que les pratiques des fournisseurs, des sous-traitants et des autres partenaires commerciaux doivent également être prises en compte dans l’analyse.

1. Matérialité d’impact (“inside out”) : incidence de l’entreprise sur la planète et les hommes

Cette dimension évalue les effets directs et indirects qu’une entreprise génère sur l’environnement écologique, les salariés, les populations et les parties prenantes.

1.1 Incidences ou externalités négatives

Les externalités négatives désignent les impacts nuisibles qu’une entreprise cause sur l’environnement et la société. Elles sont évaluées selon trois critères :

  • Amplitude : Intensité des dommages causés.
  • Étendue : Nombre de personnes ou d’écosystèmes affectés.
  • Caractère irrémédiable : Possibilité ou non de corriger ou compenser l’impact.

Exemples d’impacts négatifs :

Planète

  • Pollution industrielle : une usine chimique rejette des substances toxiques dans l’eau, affectant les écosystèmes aquatiques.
  • Déforestation : une entreprise agroalimentaire détruit des hectares de forêt tropicale pour cultiver du soja.
  • Changement climatique : une entreprise industrielle consomme du fuel et du gaz, contribuant aux émissions de CO2.

Hommes

  • Conditions de travail précaires : une marque de textile sous-traite sa production à des usines exploitant des travailleurs dans des conditions de travail ne respectant pas les droits du travail internationaux.
  • Impact sur la santé publique : une industrie agroalimentaire utilise des additifs nocifs dans ses produits, augmentant les risques d’obésité et de maladies cardiovasculaires.
  • Expropriation des populations locales : une entreprise minière force des communautés autochtones à quitter leurs terres.

1.2 Incidences ou externalités positives

Les externalités positives sont les bénéfices que l’activité de l’entreprise génère pour l’environnement et la société.

Exemples d’impacts positifs :

Planète

  • Énergies renouvelables : une entreprise investit massivement dans des infrastructures solaires permettant sa quasi -autonomie énergétique.
  • Réparabilité : une société d’électronique conçoit la fabrication de ses produits selon un cahier des charges excluant l’obsolescence programmée et permettant la réparation des composants en panne.
  • Technologie : une entreprise aéronautique investit dans la recherche pour un futur moteur à hydrogène.

Hommes

  • Emploi et inclusion : une entreprise favorise l’embauche de personnes en situation de handicap.
  • Innovation en santé : une entreprise agro-alimentaire développe des produits enrichis en nutriments essentiels pour lutter contre la malnutrition.
  • Sociétal : une banque développe des solutions bancaires accessibles aux populations non bancarisées dans les pays en développement.

2. Matérialité financière (“outside in”) : incidence des enjeux de durabilité sur l’entreprise

Cette dimension concerne l’impact que les risques et opportunités liés aux enjeux de durabilité ont sur la situation financière de l’entreprise (valeur, rentabilité, coûts, accès au financement, etc.).

2.1 Risques financiers impactant négativement la valeur de l’entreprise

Les risques financiers liés aux enjeux ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) peuvent affecter directement la performance de l’entreprise. Ils sont évalués selon :

  • La probabilité d’occurrence,
  • L’ampleur des effets financiers.

Exemples de risques financiers :

Planète

  • Changement climatique : une entreprise manufacturière doit acheter des crédits carbone dans le système des quotas, ce qui revient à une taxe majorant ses coûts de production.
  • Adaptation aux dérèglements climatiques : une société immobilière voit ses actifs exposés physiquement à la montée des eaux en bord de mer, à la fissuration des murs en raison de sécheresses répétitives ; elle subit l’inflation des primes d’assurance.
  • Pénurie d’eau : face à l’assèchement des sols et à la hausse des températures, une entreprise agricole investit dans de nouvelles semences, coûteuses mais adaptées au nouveau climat et moins dépendantes de l’irrigation.

Hommes

  • Mauvaise réputation : une marque de fast fashion fait l’objet de controverses sur les conditions de travail abusives de sa main d’œuvre indirecte, entraînant un boycott et une chute de ses ventes.
  • Conditions de travail  : une entreprise fait face à une grève majeure suite à des suicides répétitifs parmi ses salariés.
  • Gouvernance défectueuse : de mauvaises pratiques managériales entraînent une démission de postes à forte valeur ajoutée, et entraîne pénurie d’employés clés et coûts de recrutement élevés.

2.2 Opportunités financières augmentant la valeur de l’entreprise

Les opportunités financières liées aux enjeux de durabilité permettent aux entreprises de générer de la valeur et de se démarquer sur le marché.

Exemples d’opportunités financières :

Planète

  • Industrie automobile : un nouveau constructeur mise tout sur les véhicules électriques assistés et disrupte le marché à son profit.
  • Hôtel et restauration durables : une chaîne d’hôtels propose des services et une carte au restaurant respectueuse de l’environnement , avec approvisionnement en circuit court ; le revenu moyen par séjour augmente.
  • Labels environnementaux : une entreprise agroalimentaire obtient un label vert, améliore la qualité de ses produits, attire des consommateurs engagés et plus fidèles, ce qui lui permet de monter en gamme et d’augmenter ses prix.

Hommes

  • Modes de travail : une entreprise de services mise fortement sur la flexibilité des temps de travail et la rémunération variable de ses employés, elle améliore son attractivité et la rétention de ses talents et diminue ainsi ses coûts de recrutement.
  • Politiques de diversité : une entreprise du luxe embauche des créateurs issus de minorités et développe une gamme de vêtements et accessoires qui attire une nouvelle clientèle sensible à la diversité.
  • Santé au travail : une entreprise de e-commerce investit dans des exo-squelettes pour prévenir les troubles musculo-squelettiques, améliorant la productivité de ses salariés et diminuant les coûts liés aux absences.

Synthèse

  • La double matérialité repose en réalité sur 4 jambes (et non deux), matérialité d’impact et matérialité financière, avec des aspects positifs et négatifs,
  • La double matérialité est une méthode (et non un but en soi),
  • La double matérialité est discutée avec les parties prenantes,
  • En normes internationales (normes de durabilité ISSB/ IFRS), seuls les risques et opportunités financières sont obligatoires ; mais on reconnaît néanmoins l’obligation de déclarer l’empreinte carbone (matérialité d’impact négatif « climat »),
  • La double matérialité n’est pas obligatoire dans le rapport de durabilité des PME non cotées en norme VSME ; mais l’approche reste pertinente si on la déleste de tout le pointillisme de la CSRD et des promoteurs de complexité que peuvent être les auditeurs et les consultants.

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